Le corporatisme judiciaire en France est ainsi fait que lorsqu’il s’enfonce dans l’erreur il faut une trentaine d’années pour que la vérité se rétablisse. L’affaire de la Fondation Vasarely en est une nouvelle illustration.
Cette célèbre fondation créée par le maître de l’OP art en 1971 était administrée par l’université aixoise depuis 1981 et, grâce à l’action du doyen Debbasch*, avait retrouvé une gestion bénévole et équilibrée.
Mais c’était sans compter sur les convoitises des héritiers Vasarely qui souhaitaient récupérer les nombreuses toiles données par l’artiste aux deux musées d’Aix en Provence et de Gordes propriétés de la Fondation. Une puissante campagne médiatique de diffamation est alors conduite contre Charles Debbasch accusé de tous les maux bien que les plaintes qu’il a déposées ont révélé les délits commis par les Vasarely.
Le procureur de la république d’Aix en Provence conclut avec clarté son rapport en date du 4 mai 1993 qui synthétise les investigations menées dans le cadre des plaintes déposées par Charles Debbasch : « Globalement, il ressort de ces diverses auditions, particulièrement détaillées, assorties de la production de nombreuses pièces, qu’à la suite du décès de Mme Claire Vasarely et après une période conflictuelle entre eux, les deux fils de Monsieur Victor Vasarely et leurs épouses ont, de connivence, engagé une entreprise de réduction de l’actif successoral orchestrée par Mme Michèle Vasarely et caractérisée par des vols de tableaux ou d’œuvres artistiques nécessitant parfois l’intervention de déménageurs pour puiser dans les réserves d’Annat-sur-Marne, des falsifications des fichiers de l’artiste et de ses listes d’inventaires, le vol de six lingots d’or et de 900.000 francs en bons de caisse, l’extorsion de signatures quand Monsieur Victor Vasarely signait machinalement son courrier, le recours à un expert complaisant pour évaluer à la baisse l’actif de la succession, le remplacement du comptable de Monsieur Victor Vasarely par celui de Mme Michèle Vasarely et le retrait sans restitution d’œuvres inaliénables déposées dans les musées consacrés au peintre, Mme Michèle Vasarelyayant même, selon un témoin, préparé un brouillon de testament pour le faire retranscrire par Monsieur Victor VASARELY dont tous les faits et gestes étaient contrôlés, les fréquentations sélectionnées et les communications téléphoniques détournées par renvoi sur le domicile personnel de Mme Michèle Vasarely, auteur d’une entreprise d’isolement de l’artiste'.
Cependant les évidences pèsent peu face aux réseaux mafieux.
Une réunion est convoquée en décembre 1993 à Matignon par le conseiller justice d’Edouard Balladur à laquelle participent de hauts magistrats appartenant à l’extrême droite judicaire – qui occupent encore aujourd’hui de hautes fonctions – au cours de laquelle des instructions de charger le doyen Debbasch sont données.
Grâce à de fausses plaintes et à l’aide de conseils d’administration truqués les heritiers Vasarely reprennent le contrôle de la Fondation tandis que Pierre Vasarely, le petit fils de l’artiste, alors allié à la bru de l’artiste Michèle Taburno, organise le déménagement des milliers de toiles de l’artiste. La justice aixoise se fait alors aveugle et condamne avec obstination le doyen Debbasch (la condamnation a été cassée à deux reprises) d’une peine aujourd’hui effacée.
Et puisqu’il faut donner une couverture juridique au vol des toiles, la famille Vasarely organise un faux arbitrage à la Tapie: la totalité des œuvres appartenant à la Fondation est ainsi « restituée » aux héritiers qui se déchirent alors pour le partage, Michèle Taburno se faisant prendre à Chicago une nuit en train d’organiser un casse pour récupérer des toiles confiées à un marchand d’art.
Arbitrage frauduleux
C’est cet arbitrage frauduleux que le 4 novembre 2015 la Cour de cassation de Paris vient d’annuler confirmant un arrêt de la Cour d’appel de paris du 27 mai 2014.
De quoi s’agit-il ? En 1991, après le décès de l’épouse de Vasarely qui ouvre la succession sur les biens commun, les héritiers se déchirent puis se réconcilient pour tenter d’obtenir de la Fondation Vasarely, présidée par Charles Debbasch, la restitution des œuvres que l’artiste avait léguées à sa Fondation. Enjeu ? Plusieurs centaines de toiles d’une valeur de plusieurs dizaines de millions d’euros.
Charles Debbasch refuse de voir la Fondation dépouillée et dépose plainte à deux reprises contre les héritiers Vasarely qui contre-attaquent en deux étapes. 1ère étape, discréditer Charles Debbasch pour l’écarter de la Fondation Vasarely par des actions en justice à la suite desquelles il sera condamné en 2005 dans des conditions ubuesques. 2ème étape, récupérer le contrôle de la Fondation Vasarely en portant à sa présidence Michèle Taburno, la belle-fille de l’artiste et habiller le pillage de son patrimoine par une procédure d’arbitrage montée de toutes pièces. Le motif ? Les donations réalisées par Victor Vasarely à sa Fondation auraient porté atteinte à la réserve successorale de ses héritiers. En réalité, les « parties » à l’arbitrage, la Fondation et les héritiers, sont représentées par la même personne Michèle Taburno, les arbitres sont tous en situation de conflit d’intérêts et un pacte préalable a été noué qui organise le partage du patrimoine de la Fondation. En 1995 le « tribunal arbitral » réuni dans ces conditions ordonne donc la restitution aux héritiers Vasarely de la totalité des œuvres que l’artiste avait léguée à sa Fondation qui est immédiatement vidée de toutes ses œuvres.
Le crime paraît parfait puisque le Tribunal de grande instance de Paris homologue la sentence arbitrale, laissant la justice se focaliser sur Charles Debbasch à qui l’on fera porter le chapeau du pillage de la Fondation.
Sauf que la Fondation désormais déliquescente, un administrateur provisoire est finalement désigné par la justice pour tenter d’éviter sa liquidation. L’administrateur, Me Xavier Huertas, découvre rapidement le subterfuge qui a été dénoncé par Charles Debbasch et décide d’agir en justice, douze années après l’arbitrage frauduleux, pour en demander l’annulation.
Il fonde son action sur un vieux principe général du droit, connu sous l’adage latin « fraus omnia corrumpit » (la fraude corrompt tout) qui permet d’obtenir l’annulation de tout fait juridique frauduleux indépendamment de tout délai de prescription et de toute autre voie de droit.
Et c’est en application de ce principe que la Cour de cassation de Paris prononce l’annulation du simulacre d’arbitrage entre les Vasarely et la Fondation : Les juges reconnaissent que les arbitres étaient en situation de conflit d’intérêt et que le sentence arbitrale n’était qu’un habillage conféré à un arrangement préalable.
Charles Debbasch de son côté poursuit son combat au travers d’une plainte pénale pour fraude et crime en bande organisée : les héritiers Vasarely ont accusé – et fait condamner – Charles Debbasch pour un détournement prétendu de 6 toiles alors que Michèle Taburno, la belle-fille de l’artiste, a publié sur son site une lettre de Victor Vasarely dans laquelle ce dernier reproche à son petit-fils d’avoir vendu ces 6 toiles au secrétaire général de la Fondation !
La justice a donc été sciemment instrumentalisée afin de dissimuler le pillage de la Fondation.
* Charles Debbasch est ministe conseiller à la Présidence togolaise