Dans son n° du 28 novembre dernier, la Lettre du Continent relevait, sous le titre « Faure Gnassingbé froissé », que le Togo n’avait pas été invité à Paris le 11 novembre 2018 aux cérémonies marquant le 100e anniversaire de la fin de la Grande Guerre 14/18, au motif qu’il était à l’époque une colonie allemande et n’avait donc pu combattre dans le camp des Alliés. Pourtant, les archives historiques infirment une telle lecture.
Il y a quelques années, nous avons eu l’opportunité de consulter une trentaine de livrets militaires d’anciens gardes indigènes togolais, soigneusement conservés dans les archives de l’État-major des forces armées togolaises à Lomé.
Celui de Mama Clairon porte les mentions : né à Bassari vers 1894, classe 1914, colonie Togo, cercle Sokodé, s’est engagé le 30/12/1914 et a reçu la Médaille Commémorative interalliée de la Grande guerre le 30/11/1931.
Nadio, né à Sansané Mango vers en 1896, classe 1915, incorporé le 9/9/1915 devant la commission de recrutement de Mango, campagne d’Afrique Occidentale Française contre l’Allemagne en guerre du 9/9/1915 au 23/10/1919.
Yaya Babatou, né vers 1893 à Mango, Togo, classe 1915, campagne contre l’Allemagne (Togo) du 1/8/15 au 31/10/19
Kouma, né vers 1898 à Défalé, Togo, classe 1918, incorporé pour 3 ans le 5/5/1918, campagne contre l’Allemagne en guerre du 5 mai 1918 au 31 octobre 1919
Cataca, né en 1889 à Siou, Sokodé, incorporé comme engagé volontaire le 9/11/1915, campagne contre Allemagne (Togo) du 9/11/1915 au 6/03/1017 puis en Côte d’Ivoire du 7/3/17 au 1/1/18
Le plus étonnant est celui d’Amoussa Diarra, né à Sokodé vers 1895, de « race » Cabrais, classe 1914, engagé volontaire en mars 1914, avant que la guerre n’éclate contre l’Allemagne en août suivant.
Que nous disent ces livrets ?
Malgré les frontières, des Togolais, sous régime colonial allemand, s’engagent dans des unités de tirailleurs français (Diarra). Ils attestent que la France, dès la fin 1914, ayant besoin d’hommes, recrute des Togolais pour participer aux opérations militaires contre l’Allemagne qui se déroulent alors sur le sol africain (Nadio, Babatou, Kouma). Que d’autres figurent également dans les colonnes qui tentent de venir à bout des révoltes qui ont éclaté contre le recrutement forcé, en particulier en Côte d’Ivoire (Cataca).
Quant à Mama Clairon, il reçoit la Médaille Commémorative interalliée de la Grande Guerre 14-18, dite « médaille de la Victoire », créée en 1922 et attribuée à tous les militaires ayant servi trois mois – consécutifs ou non – entre le 2 août 1914 et le 11 novembre 1918 dans la zone des armées.
Ce simple sondage sur un corpus limité de livrets militaires, qu’il faudrait encore étendre à des sources plus larges, montre que la France n’hésite pas à recruter dans un territoire pourtant ennemi de la veille et occupé à partir de la fin août 1914, ce qu’elle continuera à faire jusqu’aux indépendances malgré le fait que son mandat sur le Togo, définitivement mis en place par la Société des Nations en juillet 1922, le lui interdisait.
Une compagnie puis bataillon autonome du Dahomey, avec un détachement à Lomé, entretiendra la fiction d’un recrutement dahoméen (béninois). Ce sera en particulier le cas pour le jeune Etienne Gnassingbé qui signera son contrat d’engagement pour les tirailleurs à Djougou (Dahomey) en 1953.
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Eric DEROO
Historien, ancien chercheur associé au CNRS