Les Togolais préparent activement une commission "vérité, justice et réconciliation" sur des décennies de violences politiques, un exercice risqué et pourtant lancé par le président Faure Gnassingbé, le propre fils du général Eyadéma qui a régné 38 ans sur le pays. Depuis l'indépendance en 1960, hormis les brèves présidences de Sylvanus Olympio (assassiné en 1963 lors d'un coup d'Etat) Nicolas Grunitsky (renversé en 1967) et Kléber Dadjo (renversé en avril 1967), ce petit pays ouest-africain d'environ 5 millions d'habitants) n'a connu en quatre décennies que deux dirigeants: Eyadéma père et fils.
Le général Eyadéma a régné sans partage sur le pays pendant 38 ans, de 1967 jusqu'à sa mort en février 2005.Son fils lui a succédé.
C'est pourtant lui qui en trois ans a pris l'initiative de renouer et décrisper le dialogue avec l'opposition, de réhabiliter le nom d'Olympio, honni du temps de son père, et de lancer en avril dernier des "consultations nationales" pour créer cette commission "vérité, justice et réconciliation".
Celle-ci ne manquera pas tôt ou tard de se pencher et d'entendre des témoignages sur les violences qui ont émaillé l'histoire du pays depuis plusieurs décennies.
Les consultations nationales doivent durer trois mois et établir les attributions et la durée du mandat de la commission.
"Cette étape est la meilleure façon d'affronter le passé pour édifier une société harmonieuse, tolérante et réconciliée", juge Mme Ige Olatokunbo, ancienne représentante du Haut commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme au Togo et coordonnatrice des consultations.
"Nous en sommes à la phase de sensibilisation. Il faut expliquer aux Togolais la manière dont les choses vont se dérouler", estime de son côté un responsable du "comité de pilotage" des consultations.
Une équipe technique des Nations unies appuyée par des représentants de la société civile est déjà au travail sur le terrain.
Toutes les couches de la population sont concernées, y compris les forces armées (FAT), régulièrement accusées d'avoir soutenu le pouvoir de façon musclée.
Malgré le caractère inédit de la démarche, certains restent pourtant dubitatifs. "Il ne faudrait pas que ces consultations soient organisées et jouées d'avance. Toutes les couches de la société doivent être interrogées", juge Me Atta Zeus Ajavon, président de Comité du collectif des avocats contre l'impunité au Togo.
"Nous sommes très vigilants et suivons de très près ce processus", affirme Jean Pierre Fabre, le secrétaire général de l'Union des forces de changement (UFC), le parti de Gilchrist Olympio, le fils du président assassiné.
Ayao Amégan, un agent de voyage, estime lui qu'avant de créer une commission, "la véritable réconciliation passe par l'indemnisation de toutes les victimes". "L'Etat devrait créer un comité chargé de recenser ces victimes pour les indemniser, avant même de penser à créer une commission", dit-il.
Ces consultations, si elles ne sont pas bien menées, pourraient bien aussi rouvrir certaines blessures.
"J'ai très peur de la suite du processus. J'ai l'impression que les Togolais ne sont pas préparés à affronter un tel processus très complexe", confie un diplomate en poste à Lomé.