Le chercheur français Yves Marguerat, poursuivi en France pour viols de mineurs au Togo, a reconnu mardi des "attouchements" sur des enfants, au premier jour de son procès. L'accusé risque 20 ans de réclusion criminelle pour "viols par personne ayant autorité" sur deux adolescents entre 1991 et 1995 à Lomé, la capitale du Togo où il a travaillé de 1978 à 1994 pour un organisme public français, l'Orstom, devenu l'Institut de recherche et de développement (IRD).
Le journal français Le Monde dresse un portrait peu reluisant de ce personnage et donne la parole aux victimes. Accablant. Voici l'article publié par Le Monde dans son édition du 12 septembre 2007
Yves Marguerat est un homme assez peu impressionnable : il est aussi à l'aise devant la cour d'assises des Hauts-de-Seine, à Nanterre, que tout nu dans sa maison de Lomé avec les enfants des rues. Le géographe de 64 ans, un petit homme tout en rondeurs au sourire bienveillant, a écouté, mardi 11 septembre, le récit des fellations et sodomies qu'il est accusé d'avoir pratiquées sur deux jeunes Togolais comme s'il s'agissait du sommaire d'un vieux numéro d'une revue de géographie.
Yves Marguerat est un chercheur reconnu, agrégé de géographie et spécialiste du développement urbain. Il s'est installé en Afrique au lendemain de 1968 et a passé seize ans à Lomé, pour le compte de l'Orstom, devenu l'IRD, l'Institut de recherche pour le développement. Il est poursuivi pour viol par personne ayant autorité, en 1992, au Togo, sur un jeune homme de 15 ans, puis tentative et viol sur un mineur, entre 1991 et 1994. Il nie les sodomies, mais pas les caresses, ni les fellations, qui sont juridiquement des viols.
C'est que, dès son arrivée à Lomé, le chercheur a été frappé par le sort des enfants des rues. Il assure avoir fondé en 1982 un foyer pour les petits garçons, confié à une énergique Soeur Janine, mais il en arrivait de plus en plus, et Yves Marguerat les a vite accueillis chez lui : "J'étais une ONG à moi tout seul." Sa maison bruissait d'enfants. Que des garçons, une centaine au total - il a expliqué pendant l'instruction que les filles n'avaient pas besoin d'aide, elles subvenaient à leurs besoins par la prostitution.
Les gamins étaient "en grande détresse affective" au point qu'ils l'accompagnaient sous la douche et voulaient tellement dormir avec lui qu'il était obligé de leur donner un tour. Mais Yves Marguerat est persuadé d'avoir fait oeuvre utile. "J'ai eu des attouchements avec des enfants, c'est exact, a sobrement indiqué le géographe. Mais ça n'a jamais conditionné mon action. Ceux qui refusaient n'en ont jamais souffert." Il reste persuadé que "sa méthode" en valait une autre, et qu'il a obtenu de solides résultats : "Quand on s'occupait d'eux, ils se resocialisaient magnifiquement", se félicite le chercheur.
Koffi Degbevi, un grand gaillard de 30 ans, aujourd'hui partie civile, se souvient quand il en avait 15 que la faim l'avait poussé jusqu'à chez Marguerat, qu'il l'avait vu faire des fellations réciproques avec les garçons, et qu'il n'avait eu de l'argent pour aller à l'école qu'à partir du moment où il avait fait partie du groupe. Il assure avoir été obligé de passer par une sodomie dans le bureau du géographe pour qu'il l'adopte ; il a effectivement obtenu une délégation d'autorité parentale en octobre 1992.
Yves Marguerat a finalement adopté 9 garçons. Pas totalement par charité chrétienne : pour toucher les allocations familiales versées par l'Orstom, 235 000 euros de 1987 à 1993.
Il avait aussi monté un comité de soutien aux enfants de Lomé à la paroisse de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine). Les paroissiens ont versé 800 000 euros entre 1982 et 2005, pour moitié au foyer de Soeur Janine, pour moitié pour lui, sans autre contrôle que la divine providence. "Et si le comité de soutien avait su ce qui se passait chez vous, à Lomé ?", demande la présidente, Sabine Foulon. "Ils m'auraient engueulé, répond le géographe, et ils auraient eu raison. Et j'aurais arrêté d'avoir des relations sexuelles avec les enfants." Un comité d'aide et d'information pour le monde des enfants de la rue (Aimer) lui a aussi versé 48 088 euros entre 1994 et 2003, et la fondation Raoul-Follereau 209 000 euros entre 1996 et 2002.
Franck Johannès
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